La loi du plus fort
Dans ce livre de référence, l’économiste se faisait volontiers philosophe et affirmait que le libéralisme avait muté à la fin du 19ème siècle en néolibéralisme sous une double influence. Tout d’abord, les théories de Darwin, pour lesquelles la loi du plus fort serait la loi de la nature à travers la théorie de l’évolution. Puis l’application des mathématiques à l’économie puisque la mise en équation de l’homme doit présupposer un être autonome uniquement mû par ses intérêts égoïstes.
La thèse du livre était de dire qu’au contraire, l’homme avait deux facettes : « l’être soi » et « l’être avec », le premier représentant le versant individualiste et autonome de l’homme, le second, son besoin de lien social. Il va sans dire que pour l’auteur, l’homme ne peut s’épanouir que dans un équilibre de ces deux êtres. Il soutient en revanche que la société néolibérale en construction depuis quelques décennies tend à nier le besoin d’être avec pour ne retenir que l’être soi.
Une crise darwinienne
La crise que nous traversons est une illustration parfaite de cette analyse. En effet, les néolibéraux ont obtenu des Etats et des hommes politiques de droite comme de gauche qu’ils laissent faire le marché, que ce soit pour le commerce, la monnaie ou la finance. Ainsi, les droits de douane ont baissé, les marchés monétaires ont été libéralisés, les mouvements de capitaux libérés et les banques ont d’autant plus pu faire ce qu’elles voulaient que ce sont elles qui fixent leurs règles…
C’est bien l’anarchie néolibérale qui est responsable de la crise. Pour reprendre les termes du Général de Gaulle, le « laissez-passer » provoque en Occident chômage et perte de pouvoir d’achat, ce qui pousse les ménages à s’endetter toujours davantage pour pouvoir acheter un logement, d’autant plus qu’ils sont appâtés par les prêts trompeurs des banques, que l’on a « laissé-faire » pour cela et pour se couvrir par des mécanismes qui démultipliaient le risque au lieu de le couvrir.
Une solution toute aussi darwinienne
Pire, la loi du plus fort s’est aussi illustrée dans les remèdes apportés à la crise. Alors que l’on a laissé les ménages empêtrés dans des emprunts léonins faire faillite et perdre leur maison, les banques qui avaient joué avec eux ont été jugé « trop grosses pour faire faillite ». Pire, la crise a encore aggravé la concentration du secteur tout en ayant consacré l’aléa moral du système financier qui sait aujourd’hui que les Etats les sauverons forcément en cas de crise, pour éviter une faillite du système.
Et aujourd’hui, alors que les grands pays peuvent avoir des déficits massifs sans sanction du marché, les plus petits (Irlande, Grèce, Lettonie) se voient imposer des plans de rigueur sauvages. De même, si la crise frappe durement les plus pauvres, avec l’envol du chômage et la stagnation du pouvoir d’achat, les grandes fortunes et les traders ont passé une très bonne année 2009, au point que certains se portent presque déjà mieux qu’avant la crise.
Naomi Klein avait raison de parler d’horreur économique. C’est bien ce qui caractérise le système actuel. La volonté de libéralisation sans limite de l’économie provoque un retour en arrière effrayant où l’homme revient à l’état de nature dans une loi de la jungle qui efface notre humanité.
Laurent Pinsolle